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BOUGIVAL : DESTINATION DÉSASTRE ?

Par Eric Descheemaeker


Un accord a donc été trouvé sur la Nouvelle-Calédonie, le 12 juillet au petit matin, au Hilton de Bougival. Un accord signé par pas moins de 19 personnes, représentant six délégations politiques plus l’Etat. Il remplace (tout en conservant assez largement) celui de Nouméa qui remontait à 1998.

Du point de vue des partisans de la France, c’est a priori une douche froide : se voit ainsi créé un « Etat de la Nouvelle-Calédonie » avec sa propre « nationalité ». Cet Etat, dont on nous dit qu’il pourra être « reconnu par la communauté internationale », aurait à tout moment le droit, sur simple demande de sa part à une majorité qualifiée, de réclamer qu’on lui transfère les prérogatives régaliennes, les seules dont il n’ait pas encore l’exercice à ce jour. A priori, difficile d’imaginer pire scénario.

Mais les apparences peuvent être trompeuses. Trois points sont à mettre à son crédit. D’une part, bien sûr, c’est un accord politique global, dont on peut a priori penser (ou du moins espérer) qu’il ramène la concorde civile en Nouvelle-Calédonie sur la longue durée : autrement dit, que les indépendantistes, qui l’ont signé, vont renoncer à la lutte armée. D’autre part, cet accord est pérenne : il ne se pense plus comme transitoire ni comme ayant une date d’expiration. Exit, en particulier, les référendums d’autodétermination. Enfin, malgré la très grande ambiguïté des termes choisis, il conserve – a priori du moins – le (petit) Etat calédonien dans le (grand) Etat français. Pour de bon, donc. Vu ainsi, le tableau est déjà beaucoup moins sombre : on pourrait même dire que l’essentiel, pour la France, a été sauvé.

Un accord mi-figue, mi-raisin qui ne satisfera personne mais ne lèse trop aucune partie non plus, alors ? Non, c’est plus complexe que cela : c’est un accord qui pourrait se révéler très satisfaisant ou, au contraire, catastrophique du point de vue français en fonction de données encore à venir, qu’on ne connaît donc pas.

La première, c’est l’interprétation qui va être donnée à ces mots : « Etat », « nationalité », « loi fondamentale », reconnaissance internationale, etc. Il est clair que, si l’accord a pu être signé, c’est qu’il est suffisamment ambigu pour cela. D’évidence, pour les indépendantistes, « Etat » doit être entendu comme un Etat de plein droit dans l’ordre international, au même titre que la France. Dans leur perspective à eux, il s’agit d’un Etat associé, donc indépendant de la France mais lui confiant souverainement l’exercice de certaines missions, avec en plus certains attributs que l’on n’attendrait pas d’un Etat associé (une nationalité distincte, par exemple). Dans la perspective des loyalistes, à l’inverse, il s’agit d’un Etat non-souverain (comme les Etats fédérés américains ou australiens) qui reste pleinement subordonné à l’Etat français, seul à être indépendant. Cette « organisation institutionnelle sui generis », comme dit l’accord – on imagine mal expression plus floue – s’inscrit, comme il est dit, « au sein de l’ensemble national ».

L’alternative, derrière des mots destinés à confondre, est claire. Soit on parle d’un Etat dans l’ordre international, séparé de la France ; et en ce cas la Calédonie cesserait d’être la France, nonobstant son inscription dans la Constitution (qui aurait autant de force que celle de la « Communauté française », qui a survécu sur le papier de 1958 à 1995 alors qu’elle avait été vidée de sa substance dès 1960, tous les Etats concernés ayant choisi de prendre le large). Soit on parle d’une division administrative de la France, et alors le mot Etat n’est qu’un label grandiloquent et vide de sens pour parler d’une collectivité territoriale : le « chef de l’Etat calédonien » (à supposer qu’il existe, car l’essentiel des détails a été laissé à une loi organique dont tout reste à écrire) sera un président de région avec beaucoup de frou-frous.

Il est fondamental, à cet égard, de dissiper très vite les ambiguïtés. Ce qui compte, dans une perspective réaliste (au sens de St Thomas d’Aquin), ce n’est pas les mots employés mais la réalité qu’ils recouvrent. Dès la réécriture du Titre XIII de la Constitution, il faudra que tout doute soit levé : l’« Etat de Nouvelle-Calédonie » ne devra avoir d’Etat que le nom, et sa nationalité n’être qu’une manière de parler des actuels « citoyens » (ceux qui peuvent voter aux élections provinciales). Pas de siège à l’ONU, pas de passeport distinct, sujétion du droit calédonien (y compris sa pseudo-constitution) aux droits fondamentaux reconnus par la France et l’Europe, etc. : il conviendra de ne laisser aucune ambiguïté sur le fait que l’Etat calédonien à venir sera purement honorifique. Sans cela, l’accord de Bougival deviendrait inacceptable pour les partisans de la France.

La seconde question en suspens est de savoir ce que nous allons faire, collectivement, de ce temps de paix – on peut l’espérer – enfin retrouvée. Car l’accord n’a de sens que pour pouvoir reconstruire une Calédonie à terre. Mais cela ne suffira pas. Si la revendication indépendantiste reste ce qu’elle est aujourd’hui, en nombre et en violence, on sait déjà ce qui va se passer : dans 10 ou 20 ans, ils reprendront les armes pour forcer la France à capituler et signer enfin l’indépendance pure et simple. Ils l’ont fait deux fois avec un grand succès, il est évident qu’ils le referont.

Il n’y a qu’une solution à cela, et nous ne pouvons qu’espérer que c’est précisément avec cette idée en tête que les loyalistes ont tant concédé sur le papier : il faut utiliser ces dix précieuses années de paix escomptée pour peupler la Nouvelle-Calédonie de populations non-indépendantistes. La chose est taboue depuis Messmer, mais elle est la seule solution : si 150 000 Français allaient s’établir chez eux en Nouvelle-Calédonie, la revendication indépendantiste serait mise structurellement en minorité (l’accord prévoit qu’ils puissent voter après 10 ans, ce qui est trop du point de vue de la justice mais suffisant pour établir leur majorité sur le temps long). 150 000 personnes, c’est énorme pour une île aussi peu peuplée, mais très peu eu égard à sa taille (deux fois la Corse, pour une population aujourd’hui un quart moindre). C’est très peu aussi au regard des millions de Français de métropole dont nous savons qu’ils ne cherchent, hélas, qu’à partir : qu’une simple fraction vienne en Nouvelle-Calédonie (où la Province Sud devrait récupérer les pouvoirs lui permettant de les accueillir dignement), plutôt que d’aller au Québec ou ailleurs, et la Calédonie française serait sauvée. On ne voit pas, en effet, ces nouveaux « nationaux » accorder le moindre intérêt à ce que leur « Etat » d’accueil devienne autre chose qu’un morceau de France avec un titre honorifique.

Mal interprété, ou non suivi d’une politique active de « francisation » de la Calédonie, l’accord de Bougival pourrait mener au désastre. Mais si les ambiguïtés sont rapidement résolues dans un sens pro-français, et que le temps gagné est utilement mis à profit pour faire de la Nouvelle-Calédonie le joyau français du Pacifique qu’elle devrait être, capable d’attirer largement vers lui, alors il se pourrait que nous n’ayons pas à le regretter. Rien n’est aujourd’hui inéluctable, pas plus le pire qu’autre chose, mais tout reste à faire.

 
 
 

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